Le retour d'un héros de légende
Comme de nombreux pirates qui ont occupé les mers et dont les noms
sont devenus légendaires, il est un autre pirate, de fiction celui-là et occupant les océans
sidéraux, ayant marqué toute une génération, Captain Herlock.
S'il y a bien un héros mythologique au sein de l'animation japonaise, c'est sans nul doute possible
du pirate balafré dont il s'agit. Après plusieurs décennies, Herlock revient hanter de
son pavillon noir les nouvelles générations.
Malgré cette renommée, Herlock reste d'une certaine façon un personnage très hermétique.
C'est d'ailleurs en partie grâce à cette inaccessibilité qu'il a acquit ce statut qui lui
confère une aura difficilement identifiable au premier abord et même à tribord.
A la fois héros au grand coeur mais aussi personnage qui n'attend plus grand-chose de l'humanité mais qui
ne peut se résoudre à l'abandonner, Herlock sublima à lui seul le combat contre tous les maux
du genre humain, rien que ça, et cela en charmant tous les publics, masculins ou féminins, petits et grands.
Un héros ne meurt jamais, d'autant plus, si on lui prête de nouveaux faits sur une odyssée sans fin.
Herlock's blues
Le blues, tout comme le jazz ou la musique classique
(voir même l'art en général) connaît continuellement une
réappropriation de son répertoire et de nouvelles réinterprétations
par et pour les nouvelles générations. Il en est de même avec cette nouvelle
série Captain Herlock Endless Odyssey - Outside Legend (2002-03, 13 épisodes)
qui se présente comme une variation de la toute première série sur le pirate balafré
Uchû Kaizoku Captain Herlock (1978-79, 42 épisodes) alias Albator le pirate de l'espace.
Il ne s'agit donc pas d'une suite, malgré les retrouvailles de certains personnages qui ont semble-t-il vécu la
précédente aventure. D'autres acteurs comme Tadashi Daida (Ramis) ne paraissant pas y être lié, et pour cause
il ne connaît pas Herlock et vivra des évènements similaires à ceux de sa première apparition.
Evènements qui seront amenés toutefois à créer un lien encore plus fort que le précédent entre le pirate
et lui De même ici Tadashi est un petit délinquant qui se moque de ce que peut faire son père. De plus,
si l'on se base sur les dates qui nous sont montrées, l'action se situe plus de 100 ans après la menace végétale
et les personnages ne semblent pas avoir pris une ride si ce n'est tout de même qu'ils font beaucoup plus adultes.
Précisons dans l'oeuvre de MATSUMOTO que les dates dans les différentes histoires semblant être liées, ne sont
pas un facteur déterminant pour effectuer une chronologie.
Il n'est pas non plus question d'un remake, l'univers complexe de la Boucle du Temps tokinowa de MATSUMOTO
Leiji n'ayant pas besoin de cela. Les "incohérences" de l'auteur étant assumées par certaines théories scientifiques
comme celles des univers parallèles où le temps ne peut plus être un facteur qui détermine
une certaine position dans l'espace. D'ailleurs la fin d'Endless Odyssey sera de ce point de vue dès
plus emblématique soulignant au passage que le royaume des morts n'est peut être qu'une dimension alternative.
De même, tout comme certaines histoires qui remontent à la nuit des temps, celles-ci nous sont
rapportées de diverses façons pour s'apercevoir que certaines, malgré leurs différences,
sont une seule et même histoire. Cela confère ainsi à cette odyssée son aspect
légendaire.
MATSUMOTO s'est également inspiré d'un film qui l'a beaucoup touché Marianne de ma jeunesse
de Julien Duvivier (1955) qui évoque un éternel recommencement et dont il a imprégné
toute son oeuvre. Ainsi, celle-ci est comme une sorte de songe naviguant dans le domaine de la fiction sans
être altéré par des préoccupations d'espace et de temps.
La variation serait donc ici, le terme le plus approprié même si elle peut être perturbante
au niveau de la logique, tout comme certaines théories sur l'espace/temps et l'univers que notre conscience
ne peut totalement appréhender. Elle souligne quelque peu, associée au blues que l'on entend sur toute
la longueur du premier épisode, un passé regretté par d'anciens pirates, noyant leurs bleus
de l'âme dans le bar du Docteur Zero. Cette musique qui imprègne une certaine mélancolie sert
aussi de générique de fin à la série. La chanson Nameless Lonely Blues
interprétée par Tia est proche de celle du Real Folk Blues de Cowboy Bebop avec notamment
une mise en image monochrome et grisâtre. On pourra d'ailleurs ici et là, croiser quelques
références ou clin d'oeil à l'oeuvre de WATANABE Shinichiro. On remarquera d'ailleurs que
YAMADARA Koichi double Herlock et WAKAMOTO Norio double Irita (l'équivalent de Vilak) et qu'ils étaient
respectivement Spike Spiegel et Vicious dans Cowboy Bebop mais aussi Jubei et Mujuro dans Ninja Scroll
le film de KAWAJIRI Yoshihaki. On doit justement à ce dernier le storyboard de l'épisode 11
d'Endless Odyssey.
Palingénésie
On ne peut pas vraiment dire qu'Herlock nous manquait car nous avons eu la
chance de connaître ses dernières années de nouvelles oeuvres animées de MATSUMOTO
Leiji où celui-ci était présent mais à la vue et à la tenue
d'Endless Odyssey, on s'aperçoit qu'on ne le retrouve vraiment que maintenant et cela sans
ôter de la qualité aux séries précédentes qui nous le présentaient assez
différemment, soit quand il était un peu plus jeune ou encore dans un rôle de cow-boy.
De plus, son aura est proche de celle qui émanait de sa première apparition à l'écran.
Malgré un character design de NOBUTERU Yuki qui durci quelque peu les traits du visage du pirate, il
conserve tout de même son empreinte originellement adopter par KOMATSUBARA Kazuo (Uchû Kaizoku Captain Herlock, Mugen Kidô SSX,
Ginga Tetsudô 999 film, Sayonara Ginga Tetsudô 999) décédé deux ans avant la
réalisation de cette série. En cela NOBUTERU Yuki a su respecter le trait de son aîné
tout en lui insufflant sa propre personnalité et ceci également sur l'ensemble des personnages qu'il
sublime admirablement. De ce fait, on peut dire que NOBUTERU Yuki est le digne successeur de KOMATSUBARA Kazuo et
qu'il a su brillamment s'approprier ce personnage institutionnalisé. Il faut également souligner
que si les récentes adaptations du pirate ont beaucoup moins de charmes à l'écran que cette
dernière, c'est aussi dû en parti à l'animation pauvre de celle-ci et de plus traité
en grande partie à l'ordinateur au contraire de cette nouvelle odyssée dont la conception fut
réalisée pour le marché de la vidéo avant une diffusion télévisée
et donc avec une durée de réalisation plus importante et un désir d'animer les personnages de
façon plus naturel. De plus, elle bénéficie du savoir-faire du prestigieux studio Madhouse.
De même la personnalité du pirate n'a jamais été aussi sombre, tant au niveau de sa
présence que de son aspect psychologique. Il est comme une étoile ardente dont la lumière
insufflerait une certaine froideur. Si à la fin de la première série le pirate part avec son
Arcadia accompagné de Mimeh pour errer librement dans l'espace, avec Endless Odyssey il semble tout
droit sortir du néant ou de quelque trou noir ou le temps n'a plus court. Bien que, cinq ans auparavant,
il naviguait encore avec l'Arcadia puisque c'est lui qui sauvera le Professeur Daiba qui errait alors dans l'espace.
Il sera aussi sans concession aucune, mettant chacune de ses pensées en osmose avec ses actions. Il ne doutera
qu'une seule fois, quand il s'interrogera s'il est juste qu'il demande à ses anciens compagnons qu'ils
risquent de nouveaux leur vie avec lui.
Mais si Endless Odyssey renoue si bien avec la série à laquelle elle se réfère,
c'est aussi grâce à son génialissime réalisateur RINTARÔ qui avait oeuvré
sur celle-ci il y a de cela plus de 25 ans. Toujours fidèle à lui-même, il maîtrise
parfaitement son sujet et inscrit une nouvelle fois sa patte artistique sur l'oeuvre de MATSUMOTO avec ce
qui le caractérise le plus, éviter la facilité. L'oeuvre est ainsi insérée
dans une intrigue où la réflexion scientifique nimbée de mysticisme est superbement
administrée. Elle s'éloigne en cela de la première série où primait
une ambiance poétique de l'océan astral, pour une vision plus froide et réaliste de
l'univers. Cela est quelque peu marqué par la musique de HATTORI Takayuki (Slayers, Nadesico)
un peu moins mélancolique que celle de YOKOYAMA Seiji mais tout aussi sensible et émouvante.
En parallèle, les personnages ne sont plus tout à fait les mêmes et en cela RINTARÔ
souligne pour ceux qui vécurent la première aventure, qu'ils ont eux aussi bien changé,
tout comme le monde qui les entoure et que le mal, malgré les espérances de la jeunesse passée
est toujours présent.
Un nouveau combat
Le noyau central de l'intrigue d'Endless Odyssey se base sur les
quelques secondes qui ont précédées le Big Bang. Pendant un relatif court instant, avant
que l'expansion de l'univers n'entre dans sa phase créatrice, celui-ci fut une sorte de chaos total
où une force que l'on pourrait considérer comme entité, dominait. Ces quelques secondes
où tout l'univers connu était concentré dans un espace plus petit qu'une particule
élémentaire, étaient également en dehors du temps que nous connaissons. C'est en
quelque sorte dans ce "non temps", tel le domaine du Walhalla, où les lois de la physique
n'existe pas encore, appelé aussi le temps de Planck que celui-ci exprime ainsi : P = (G x h/2 x pi x c^5)^(1/2)
soit environ 5,391 x 10-44 secondes (no comment), que le Démon du macrocosme Noo contrôlait
l'existant par l'effroi qu'il imposait sur toute chose. Mais après ces quelques "secondes"
il fut emprisonné par le peuple des spiraloïdes (premier ordre de conscience ne connaissant
pas la peur) pour permettre à l'univers de se former accompagné d'une entropie créatrice.
Ainsi l'humanité pu voir le jour. Dans ce contexte RINTARÔ réitère un peu le concept
de son film Genma Taisen où une entité destructrice augmente l'entropie de l'univers pour
le détruire. Il donne ainsi pour adversaire au pirate, une entité tout aussi puissante que le dieu
Wotan et fait d'Herlock un personnage égal à ceux de l'antiquité qui n'avaient pas peur
d'affronter les dieux.
Mais si Herlock avait quitté une planète bleue en reconstruction après le conflit avec les
mazones (sylvidres) dont le souvenir et le nom seront évoqués, son retour a lieu sur la
Planète de la Décharge semblant être sans autre précision un domaine russe (on
remarquera par exemple une affiche faisant référence au cuirassé Potemkine, emblème
de la mutinerie mais aussi de la révolution), dans le 7ème système solaire, la Terre
n'étant plus habitée que par des malades et des vieillards.
Il semblerait donc que l'humanité ce soit répandu dans l'univers et cela jusqu'au 9ème
système solaire où fut découvert d'antiques ruines (les portes de l'enfer) dans la
Nébuleuse du Sablier à 8000 années lumière de la Terre. Nébuleuse qui de
part son image fait écho au temps qui s'écoule dans l'oeuvre de MATSUMOTO et à son
utilisation sur certains pavillons et de plus est assez proche de part sa formation de la Nébuleuse Diabolo.
Le professeur Daiba qui participa à cette découverte, contribua également à
réveiller le Démon du macrocosme qui y avait été enfermé. Ce dernier voudra
récupérer ce qui lui avait appartenu un "temps" mais cela ne pourra se faire sans dommage
pour l'univers car celui-ci est pour ainsi dire comme une partie de son "corps" et la Terre n'y fait
pas exception avec ce que cela implique sur les origines de la vie. Il sera de ce fait secondé par les
Gardiens des ténèbres qui prendront pour enveloppes corporelles les scientifiques ayant trouvé
la mort lors de cette découverte dont le professeur Daiba fut le seul survivant. De même, ces derniers
utiliseront pour leur dessein le vaisseau des archéologues qui servit lors de cette expédition funeste,
le Fata Morgana qui lui aussi évoque les légendes, celtes en l'occurrence, la Fée Morgane
étant la demi soeur du roi Arthur mais également une fée apportant une mort brutale.
C'est ainsi que le Captain Herlock qui était devenu dans les souvenirs des terriens un personnage
légendaire, va reprendre forme humaine et au fil des épisodes reformer son équipage pour
combattre cet ennemi on ne peut plus omnipotent. On retrouvera ainsi avec plaisir un Docteur Zero propriétaire
d'un bar (rôle qui lui siée à merveille), Yattaran (Alfred) toujours sinon plus féru de
maquettisme et qui jouera également le rôle d'un Pierre Lena ou d'un Hubert Reeves pour nous
éclairer un peu de ses connaissances scientifiques, Maji l'ingénieur mécanicien pour ne pas
dire "l'homme mécanique" et bien évidemment Mimeh (Clio) qui n'avait jamais quitté
le capitaine. Mais si ce petit monde avait abandonné la piraterie, il n'en était rien pour
Kei Yuki (Nausicaa) qui continuait avec son équipage de 17 hommes à se battre contre l'injustice.
Kei qui nous revient également en très grande forme avec une très belle entrée en
matière "organique", pour ne pas dire également dans une forme des plus désirable,
mais je m'égare un peu.
Cet équipage en partie reformé, embarquera de nouveau sur un Arcadia et son animae, tel une
nouvelle Arche de Noé. En effet celui-ci est inséré dans le flanc d'une montagne sur la
Planète de la Décharge (selon la légende l'Arche de Noé ce serait échoué
sur le Mont Ararat, volcan situé en Arménie et tout autant emblématique que le Mont Fuji, montagne
sacrée mais aussi lieu historique d'intense activité inhumaine). Ainsi la légendaire embarcation
et ses non moins mythiques occupants partiront une fois de plus sauver l'humanité dont le premier ennemi avant
tout n'est qu'elle-même.
Si dans ce contexte la critique de la société humaine laisse place à une histoire fantastique
inscrite tout de même dans les cordes de la réalité scientifique, il n'en demeure pas moins quelques
diatribes sur les faiblesses humaines à commencer par le corps politique (le premier ministre joue toujours au golf)
mais aussi sur chacun par le biais des illusions insérées dans les esprits par Noo ou des jugements
approximatifs qui engendre la peur, arme des plus puissantes qui engendre la guerre. Au contraire d'Herlock et de son
équipage où une confiance mutuelle est partagée et ne peut souffrir de quelconques reflets d'une
réalité détournée. D'ailleurs le commandant Irita, tout aussi noble que le pirate, le dit
lui-même : les humains existent-ils pour n'être satisfaits que par une image artificielle. Parole
des plus évocatrices à l'heure des médias de masse ou de la recherche spirituelle.
Avec cette série des plus classieuse où Herlock semble toujours aussi, voir autant plus invulnérable
que jamais, sentiment accentué par son statut légendaire d'être quasi mythologique, il atteint
là à l'ultime et on peut lui prêter la nomination de pirate d'essence divine même si ce
n'est qu'un homme.
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